À cette époque, il n’y avait pas de mendicité dans les rues. Ça ne se faisait pas de tendre la main «à votre bon cœur m’sieurs dames».
Dans la petite ville proprette et tout et tout, diverses institutions avaient leurs pauvres dont elles s’occupaient avec une certaine discrétion. «Restez à la maison. N’allez rien crier sur les toits. Arrêtez de boire et on vous donnera» disaient les gens bien intentionnés aux relents âcres de paternalisme.
Les laissés-pour-compte vaquaient à leurs occupations de laissés-pour-compte. Les quelques clochards devenus teigneux étaient méprisés. «Va donc sonner ailleurs» qu’on leur criait dessus. «Si t’allais travailler, tu serais pas dans la merde !» était la litanie qu’ils connaissaient par cœur.
Mis à part tout ce beau monde, occupant l’organisation de la cité, il y avait les vagabonds.
Mis à part les toujours redoutables bien pensants, les vagabonds étaient aimés. Les enfants leur couraient après et les épris de liberté et de poésie cherchaient à leur faire la conversation.
Un des plus connus à cette époque était «Bisquit». Il apparaissait de ci de là au gré des saisons, un sac de jute (sac de pommes de terre) sur l’épaule. Il connaissait les endroits où il pourrait remplir les boîtes de conserve vides qu’il trimballait et de disparaître à nouveau vers d’autres espaces de liberté.
«T’as quoi dans ton sac ?» demanda l’enfant à Bisquit. «J’ai des poupées pour les filles et des trains électriques pour les garçons» disait-il toujours, «et je te les apporterai à Noël si t’es bien sage»
Avant de quitter son auditoire, il disait encore : «T’as quinze pour faire vingt ?»